Sur la Tombe d'un Lys

Sans l’ombre même d’un remord, il avait laissé Pénombre sur les rives. Elle saurait se débrouiller par ses propres moyens, il en était certain. De plus pour la tâche qu’il voulait accomplir, il préférait être seul. Dans la fraîcheur de l’aube, qui soulevait peu à peu le voile de la nuit, Lyan réajusta d’un geste rapide et habile la longue cape bordeaux qui le protégeait du froid. Sa capuche était abaissée puisque pour l’instant, personne sur l’île ne pouvait se vanter de connaître son visage. Il ne craignait donc pas que quelqu’un l’importune en lui souhaitant la bienvenue.

Ce mot même représentait à ses yeux le mensonge le plus hypocrite. Il n’était pas « bienvenu » comment aurait-il pu l’être au vu des circonstances. Ne connaissant que très mal l’île, Lyan dut se plier à l’exigence la plus déplaisante pour lui : demander son chemin. Le ton qu’il employa envers le pêcheur qu’il croisa fut très poli, très mesuré. Aucune émotion ne transparaissait, aucune douleur dans le mot « cimetière », aucune reconnaissance dans le mot « merci ».

Devant les grilles en fer forgé du cimetière, il dut l’avouer, il hésita un moment, embrassa du regard l’étendu de pierres tombales et de caveaux qui semblait infini. Le nombre de décès qu’avait connu l’île semblait démesuré par rapport à sa population, et ce d’autant plus que les cadavres de nombreux guerriers tombés aux combats n’avaient sans doute pour sépulture que la terre qui avait vu s’éteindre leur dernier soupir.

D’un pas lent et parfaitement contrôlé, le jeune homme passa l’entrée et se dirigea, comme guidé par une autre personne vers une imposante sépulture. La terre était encore fraîche et la nature n’avait pas encore reprit ses droits… Le choix de la pierre tombale lui rappela sa cousine, fière et élancée, d’un blanc pur et idéal, paraissant satinée, emplie d’une douceur infinie. Pourtant la pierre ne cède pas et reste immuable, telle la détermination d’Emma l’avait été. Sur l’épitaphe, en lettre d’argent, l’on pouvait lire ses mots qui l’avaient si bien qualifiée :

«A notre Sœur et Dirigeante aimée, jamais nous n’oublierons ton sourire. L’espoir ne faillira pas. »

Lyan eut un sourire cynique, que tout à chacun aurait jugé déplacé. C’était en quelque sorte le cas. Il ne croyait pas à l’espoir, pas à ces bienfaits miraculeux sur lesquels se reposaient les faibles et les naïfs. Il n’était ni l’un, ni l’autre. Ce n’était pas l’espoir qui ne faillirait pas, ce serait lui.

Un homme ne verse pas de larme.
Un homme tient toujours sa parole.

Dans un respect endeuillé, il posa un genou à terre, noble et fier, arrogant Lyan. Ses doigts effleurèrent la terre qui retenait sa cousine à jamais. Son corps pourrirait, son cadavre se décomposerait. Cette idée ne l’émut pas un seul instant. C’était ainsi que le cycle de la vie se déroulait, et l’on ne pouvait rien contre, il fallait s’y résigner. Avec une douceur rare, il déposa sur la terre un lys blanc cueillit à l’aube, une fleur arraché à la vie dans son plus bel éclat. Cela représentait tellement bien la jeune femme…

Et soudainement, le visage de Lyan perdit sa douceur. Lui succéda un masque d’impassibilité et sans détourner son regard si assassin de l’épitaphe de sa bien-aimée, il demanda d’une voix mesurée :

« Que faites-vous ici à une heure si matinale ? »

Topic Libre

Invité

[Je peux?]

Le cimetière. Un endroit que l'on pourrait qualifier de jardin de morts. Sous terre, réside des enveloppes charnelles inactives par manque d'âmes s'étant envolées vers un soi-disant monde meilleur. Enfin, c'est ce que l'on faisait croire à ces prêtres et prêtresses formés par cette seule pensée à laquelle on s'arrête pour expliquer le plus brièvement possible la mort. Et pourtant, il semblait que cet endroit était plus que ça. Certes, plusieurs allaient se recueillir sur la mort d'un être cher, mais c'était beaucoup plus que ça. Il fallait être fier de ceux qui avaient marqué une grande majorité.

"Malgré que ce soit les meilleurs qui nous quittent les premiers..." énonça candidement Amanda qui déambulait entre les tombes.

En effet, la demoiselle à la chevelure blonde rappelant un champs doré de blé se promenait fluidement en prenant garde de ne pas mettre pied sur un tas de terre qui avait été retourné dans le but de mettre sous terre un corps blême et sans vie parmi les végétaux. Certes, elle ne voyait pas nécessairement la mort comme un aspect négatif de la vie... bien que pour les proches, les premiers temps sont vus de cette façon. Il fallait voir cela comme un passage vers une paix éternelle et une vie infinie enfin atteinte. Un jour, l'ange s'était même risquée à penser que ce n'était qu'un vestibule, une antichambre dans laquelle l'âme attendait que la porte s'ouvre sur un nouveau corps pour revivre. Ouvrir la porte à nouveau pour revenir sur terre. Toutefois, elle gardait cette idéologie pour son propre monde imaginaire.

Alors qu'elle priait pour une personne qu'elle ne connaissait point, puisque l'on lui avait enseigné que l'on n'avait point besoin de perdre une connaissance pour prier sa mort, elle leva les yeux en entendant la porte de fer forgée s'ouvrir. Elle se retourna vivement et la silhouette ne sembla pas remarquer sa présence. Elle le suivit du regard, visiblement intriguée. Curieuse, fidèle à sa nature, elle se rapprocha silencieusement de la personne. Elle s'arrêta à quelques mètres, voyant qu'elle se rendait vers une tombe très souvent vénérée par la population.

*Je ferais mieux de le laisser seul...* songea Amanda en remarquant qu'il s'agissait d'un homme sous sa cape couleur bordeau.

Elle s'apprêta à focuser sur une nouvelle tombe lorsque la voix masculine se mit à vociférer des paroles. L'ange figea, fusillée de loin par ce regard qu'elle sentait posé sur sa personne. Elle ne bougea pas pendant un moment, mais sentant l'impatience dans l'air, elle se retourna pour fixer indirectement l'homme.

"Je... je..." bredouilla-t-elle. "Je suis venue pour la même raison que vous à l'exception que je prie pour des semblables qui me sont inconnus."

Elle n'était plus qu'à quelques mètres de lui. Elle le voyait assez pour discerner quelques traits, mais ceux se situant sur son visage restaient flous étant donné qu'il masquait cette partie. Elle-même vêtue d'une cape, de soie et blanche contrairement à la sienne, ne portait point son capuchon. Retombé vers l'arrière, elle l'avait retiré par signe de respect à son arrivé ici. Ressentant une certaine nervosité en songeant qu'elle l'avait peut-être dérangée, elle se mit à jouer frénétiquement dans ses cheveux, une habitude aussi vieille que la terre qui ne l'avait jamais quitté.

"Pardonnez-moi si je vous ai interrompu. Ce n'était nullement mon intention, très cher monsieur." s'enquit Amanda.

Il aurait très largement préféré être seul. La solitude était à ses yeux la meilleure des compagnies et il devait bien l’admettre. Peu-être qu’Emma lui aurait fait un signe comme elle l’avait déjà fait, aussi loin fut-elle aujourd’hui. Il ne daigna pas observer l’intruse, s’obstinant à fixer l’épitaphe comme s’il eut s’agit de la pire chose au monde. Son visage ne marquait nulle émotion, ses lèvres étaient closes, sa respiration calme et régulière. Cependant, son regard, ses yeux d’un noir si profond, si assassin et hostile, un regard de meurtrier qui ne tolérait aucun espoir et chassait la bonté. Hanaë avait employé tous ces termes pour le qualifier, il s’en souvenait parfaitement, l’un de ceux là était « un regard qui en a trop vu ».

La jeune femme avait été très discrète et jusqu’ici il ne l’avait pas remarqué. C’était sa pensée qui avait troublé Lyan, pénétrant dans son esprit avec brutalité. Instantanément, il avait fermé son esprit, pour le cas où elle aussi serait télépathe, rendant ainsi impossible la lecture de ses propres pensées.

Attentif comme toujours, il nota la gêne de son interlocutrice, peut-être même une certaine peur qui dénotait d’un caractère naturellement doux. Faible à ses yeux. Naïve. Il écouta ses propos avec attention et lâcha un petit rire narquois. Enfin, il daigna se relever pour lui faire face et observer la personne qui avait troublé son deuil.

Derrière la jeune femme, les premiers rayons du soleil perçaient le ciel et se répandaient sur la terre, révélant sa beauté au grand jour. Une beauté qui n’émut pas le nouveau dirigeant pour autant. Il avait vu des femmes époustouflantes, aux courbes enivrantes ou aux visages enchanteurs. Une brise légère fit voleter ses cheveux sombres en arrière. Il trouvait l’idée idiote… Prier pour des inconnus.

« Vous vous méprenez jeune fille. »

Sa voix était toujours aussi mesurée, et son regard gardait cette fougue accusatrice qui mettait si souvent ses interlocuteurs mal à l’aise. Il le savait mais ne changerait pour rien au monde, pas pour faire plaisir à quiconque, pas pour mentir aussi ouvertement sur ses intentions en les faisant passer pour charitables au gré d’un sourire bienveillant.

« Je ne prie pas. La prière n’a jamais aidé les morts. Vous ne m’avez donc pas interrompu. »

Ça ne les ramenait pas non plus. Le deuil était à ses yeux propre aux êtres humains et aux faibles. C’était encore une des actions qui servaient leur grand égoïsme. Il pleurait leur malheur d’avoir perdu quelqu’un sans penser à cette personne. Ils s’apitoyaient sur leur sort. Il ne se pensait pourtant pas différent des autres hommes, mais il se refusait à se laisser aller à la tristesse et à l’égotisme. Il n’avait versé aucune larme. Il avait pourtant aimé Emma plus que n’importe qui d’autre mais que pouvait-il faire aujourd’hui ? Déposer un Lys sur sa tombe pour lui faire honneur et accomplir la promesse qu’il lui avait faite.

« J’ai besoin de toi Lyan… Sauve mon île. »

La jeune femme jouait avec ses cheveux, signe selon lui de nervosité. Calmement, sans agressivité dans la forme, il annonça :

« Au lieu de prier les morts, vous devriez chercher à aider les vivants. Ne vous a-t-on jamais dit que la vie appartenait aux vivants ? »

Invité

Amanda resta subjuguée par une telle franchise. Toutefois, elle n'avait jamais regretté ce genre de comportement à personne, préférant qu'une personne soit franche dès le départ que discrète. Elle retira ses doigts de sa chevelure, sa nervosité s'étant soudainement envolée comme un banc d'oiseaux qui prennent leur envol après l'entente d'un bruit incertain. Elle hocha simplement la tête, préférant réfléchir à ses paroles plutôt que de se prononcer sur le champs. Le vieux dicton de tourner sa langue sept fois avant de parler avait pris une place importante dans la vie de cette jeune femme.

Elle contempla l'homme se dressant devant ses yeux un moment avant de les baisser pour marquer un déplacement vers la gauche, les bras croisés, collés contre sa poitrine. Elle leva un regard impassible vers l'horizon, voyant ce dernier se dessiner peu à peu par la lumière rectiligne qu'émettait le soleil, l'astre céleste du jour.

"Je les aide, cher Monsieur. Je les soigne, je prends soin de ceux qui en ont besoin. Autrement, ce n'est qu'un caprice indécent dans la mesure où l'autrui a peut-être plus besoin qu'on prenne soin de lui." répliqua la prêtresse qui se retourna vers l'homme.

Elle l'observa un moment, visiblement intrigué par son aller ici. Toutefois, elle jeta un regard vers la tombe et elle comprit immédiatement la nature de sa venue ici.

"Vous songiez à Emma, n'est-ce pas?" demanda-t-elle soudainement.

Certes, habituellement incapable d'user d'un tel tact, sa curiosité légendaire lui dictait des agissements qu'elle s'étonna elle-même d'effectuer. Toutefois, elle était si avide de tout savoir que cette barrière n'était qu'un mince obstacle facilement franchissable.

Elle plongea son regard dans le sien, ne se trouvant nullement mal à l'aise devant ses pupilles accusatrices. Elle se mit à se questionner sur le pourquoi de cette attitude. Elle ne lui voulait rien de mal, au contraire. Amanda était bien la dernière personne qui ferait du mal à quelqu'un. Elle n'avait pas baigné dans ce cycle et elle n'y immergerait guère même si une tentation énorme lui ferait brûler les lèvres. Et puisqu'elle ne l'avait aucunement interrompu, pourquoi ne confondre en excuse quand même et se rendre mal à l'aise pour une situation qui ne devrait pas l'être?

"Vous savez, entâma l'ange, une personne reste vivante tant et aussi longtemps que quelqu'un pense à elle. Prenez exemple sur Emma. Notre ancienne dirigeante sera éternellement vivante, car il y aura toujours quelqu'un qui se remémorera ses exploits, sa vivacité et tout ce qui faisait d'elle un être que tout le monde appréciait. Tout ces gens, dit-elle en désignant les tombes plantées à même le sol, bien qu'ils soient morts, tant qu'une personne aura une pensée, malgré qu'elle dure à peine une seconde, respirera de cette terre semée de corps dépourvus d'âme. Certes, certains préfèrent tombés dans l'oubli des gens... ce qui est malheureux puisque chaque être de cette terre mérite d'être honoré. Même mort."

Amanda se concentra sur lui un instant avant d'abaisser une seconde fois son regard.

«Ne vous a-t-on jamais dit que la vie appartenait aux vivants?»

"Oui."

Aussitôt qu'elle proféra ce «oui» qui semblait venir de nulle part, elle s'empressa d'informer à l'homme pourquoi elle avait dit cela.

"Oui, on m'a déjà dit que la vie appartenait aux vivants. N'est-ce pas logique après tout? Les morts ne font qu'errer... ou plutôt leurs âmes qui ne sont qu'une masse informe d'un nuage de fumée translucide. Pourtant, certains vivants agissent comme s'ils étaient morts. Ne faites que songer à ceux qui abandonnent rapidement. Je voudrais bien corriger la situation en leur donnant la mort pour qu'une défunte personne prenne sa place sur terre. Et spécialement ceux dont la mort fut prématurée. Cher monsieur, sachez que plusieurs personnes nous ont quitté injustement."

Lisant un peu dans le regard de l'homme, elle ajouta presque immédiatement.

"Oui, Emma nous a injustement quitté. Je peux vous l'affirmer. S'il existait, ne serait-ce qu'un seul moyen, pour qu'elle revienne, croyez-moi, je ne faillirai pas à cette tâche que les Dieux m'auraient inculquer. Trouvez cette idée de prier idiote, cher monsieur si cela vous aide à vous sentir supérieur. Cependant, je leur souhaite uniquement une vie meilleure dans l'au-delà. Vous souhaitez sans doute la même chose pour Emma. Sachez néanmoins que rien n'est idiot, il n'y a que des gens stupides et insignifiants qui ne songe pas une seconde à la chance d'avoir des pieds sur une terre ferme comme celle d'Ynis. N'allez toutefois pas pensé que je vous trouve stupide ou quelque chose du genre. Au contraire, venir vous recueillir sur la tombe d'une personne aussi exceptionnelle m'indique vous êtes une personne désignée pour gouverner ce monde."

Sur ce, Amanda le fixa encore une dernière fois avant de se retourner vers l'horizon pour se nourrir de cette énergie vivifiante et de sentir la liberté lui courir dans les cheveux comme dans un champs de blé un jour de printemps. Elle avait si douce, sans vouloir être agressive. Dans cette nature d'ange, elle n'avait su contenir ses divergences d'opinions et sa tendresse incroyable. D'autant plus que sa curiosité avait ouvert le tout. Qu'importe, l'opinion des autres lui occupait, pour ainsi dire, très peu. À moins que cette personne ne soit le Grand Prêtre lui-même où là la situation prenait un autre sens. Elle se surprit cependant à avoir été comme ça avec le nouveau dirigeant. Sans doute, ce genre d'affirmement allait le marquer chez une ange pratiquante qui donnerait son âme pour une personne plus digne.

[La joueuse s’excuse d’avoir un personnage si désagréable, sache que contrairement à lui, j’aime bien ‘Manda ^.^]

Pensait-elle vraiment les aider ? Prier pour les morts étaient d’une telle inutilité. Pour avoir souvent contempler les limbes, il pouvait le dire. Les morts ne restaient sur terre que pour deux raisons, parce qu’ils voulaient veiller de temps à autres sur leurs proches ou parce que leur haine était assez forte pour que la porte de l’au-delà leur soit close à tout jamais. Les premiers n’avaient besoin d’aucune aide, les seconds étaient trop aveuglés par leur rancune pour accepter une quelconque aide. Etait-ce donc la coutume de l’île que d’apprendre de telles inepties à ses enfants chéris ? Si on les nourrissait dès l’enfance d’espoirs naïfs et illusoires, leur inaction depuis les dernières décennies s’expliquaient beaucoup mieux. Leur naïveté avait su si bien fausser leur sens des réalités.

Savait-elle seulement qu’elle guerre se déroulait au dehors de son cocon bien aimé ? Avait-elle jamais vu le cadavre d’un homme tombé au combat, lacéré par les désirs démoniaques assouvis dans la cruauté la plus pure ?

En la regardant, il pensait que non. Que son intruse avait été trop bien protégé qu’on avait gardé trop soigneusement son innocence pour qu’elle n’en ait vraiment conscience. Il dut sûrement paraître songeur car alors elle lui parla d’Emma. Il ne souffla pas un mot, mais son regard se fut plus tranchant. Il l’accusait ouvertement d’indiscrétion et ne souhaitait pas répondre, ses yeux sombres étaient très clairs sur ce point. Ses pensées sur l’ancienne dirigeante resterait protégées au plus profond de son esprit.

Il se sentit bouillir de l’intérieur lorsque la jeune femme se permit de parler de sa cousine. Son attitude ne changea pas dans pouce, son regard se fit assassin tandis qu’elle continuait son discours et qu’il détestait de plus en plus sa manière de pensée. Froid. Glacial. Les mots acérés et réfléchis.

« La connaissiez vous personnellement pour vous permettre de telle considération à son sujet ou est ce encore votre grande bonté à l’égard des inconnus qui vous donne le droit de parler d’eux ? Votre dirigeante est bel et bien morte et tous vos honneurs n’y changeront rien. »

Il avait laissé coulé ses mots comme un venin, il les avait chuchoté en la fixant sans ciller. Son agacement était palpable bien qu’il garde un contenance noble. Lyan ne saurait tolérer le moindres écarts de paroles en ce que concernait sa bien aimée.

Regagnant son sang froid, le nouveau dirigeant arqua légèrement un sourcils et posa sa question fatidique. Ne vous a-t-on jamais dit que la vie appartient au vivants ? C’était ce qu’on lui avait enseigné. On lui avait aussi appris à respecter les morts mais il ne l’avait fait que pour paraître dans la société mondaine. Lyan n’avait jamais aimé les morts, ils le dérangeaient bien trop dans son quotidien pour qu’il ne tolère leur présence. Il connaissait la souffrance de certains morts et n’en avait cure. C’était aux vivants qu’il dédiait son combat, pas à ceux pour qui c’était déjà trop tard.

Il écouta attentivement sa réponse. Demeurant impassible, ses pensées tournoyaient dans son esprit, la jeune femme qui se tenait face à lui était sa parfaite antithèse.

« Que savez des morts ? »

Demanda-t-il abruptement, lui coupant presque la parole. Faisait-elle passes ses lacunes et son ignorance pour de la bonté ? Il poursuivit, amer et véhément de cette vois toujours aussi mesurée :

« Qui êtes vous pour juger de la destinée des hommes ? Vous n’avez nullement le droit de juger de qui doit vivre ou mourir, ce n’est pas à vous de le dire. A quoi reconnaît-on quelqu’un qui mérite de vivre ? Enseignez-moi je vous en prie à reconnaître ceux qui méritent de mourir à la place d’autre personne. Vous rendez vous compte des paroles que vous proférez. Vous ne savez rien, ne connaissez rien et vous pensez l’égal des dieux ! »

Lyan était hors de lui. Parler d’Emma était l’erreur qu’avait commise la jeune femme, celle qui avait déclenché le mépris du dirigeant. Il savait toute l’histoire de sa cousine, son fantôme le lui avait conté. Il revoyait Emma, assise dans la lueur de l’ombre, son visage serein comme jamais et son histoire. Elle n’était pas morte en vain, elle n’était pas morte injustement. Emma avait donné sa vie pour tente quelque chose, pour protéger son île et ses habitants. Si elle avait combattu sa destiné, elle aurait du faire face à la déchéance d’Ynis Witrin, à son pillage et à sa mort très prochaine. Elle lui avait envoyé par rêve les visions qu’elle avait eue. Elle avait donné à Lyan toutes les cartes pour comprendre son choix et la nécessité qu’elle avait qu’il reprenne le flambeau.

Si elle avait été un homme, il y aurait bien longtemps qu’il aurait détruit tout son raisonnement et réduit à néant tout ce en quoi il croyait par le pouvoir des mots. Mais elle était une femme, et il respectait cette tradition qui voulait que les hommes prennent soin de ces êtres. S’ils avaient été dans un endroit clos, il l’aurait giflé pour avoir osé proférer ses paroles.

Pensait-elle lui avoir apporté un quelconque réconfort avec ses inepties ?

« Croyez moi, votre très chère dirigeante n’a pas le moins du monde regretté ses actes, elle savait que son heure était venue et qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Mais dîtes moi et selon vous, méritez vous plus qu’un autre de continuer à vivre ? J’aimerais savoir par quel orgueil vous sentez vous en droit de juger si ouvertement des qualités qui font que l’on mérite de vivre ? »

Invité

[Désolée d'avoir été si longue! J'ai été prise par mon travail, la fatigue et mon anniversaire. Merci pour la remarque sur mon personnage. Je dois avouer que, malgré que le tien soit désagréable, il est plutôt agréable de jouer en sa compagnie. Cela force 'Manda à se remettre en question sur ses propres idéologies. Wink

]

La jeune ange l'écouta d'une oreille attentive. Elle avala tout ce venin qu'il venait de lui donner sans même lui avoir tordu un bras. Son regard, ombré à certains endroits par l'angle qu'elle était par rapport au soleil, semblait impassible. Toutefois, on pouvait y lire des mots et y voir des images défiler dans ses miroirs de l'âme qui en avaient vu passé malgré elle. Elle ingurgita tout ce poison sans réagir du premier abord. Toutefois, tout lui claqua d'un seul coup.

Amanda fut prise d'une violente convulsion qui fit en sorte qu'elle s'écroula par terre. Elle se maudissa d'avoir été aussi insolente, car elle devait le reconnaître qu'elle n'y était pas allée dans le sens du poil, et surtout avec un inconnu. À genoux, elle se courba vers l'avant, étranglant son estomac qui semblait la tordre de douleur à tort. La tête penchée, elle le voyait parfaitement. Immobile, il la fusillait du regard, regardant cet être ailée qui ne lui avait fait que valoir son point de vue... qui étrangement, était le même que celui des Dieux.

"Vous n'avez pas honte?!" se dit-elle pour elle-même comme si sa voix intérieure avait pris l'air contre son gré.

Remarquant une fois de plus son insolence, ses yeux sortirent de leur orbitre.

"On va me punir pour ça, on va me punir!" vociféra-t-elle très bas entre deux souffles. Puis, elle leva un regard suppliant, sachant pourtant très bien que cela n'aurait aucun effet chez l'homme. "Pardonnez-moi, s'il vous plaît, pardonnez-moi!"

Elle faisait presque pitié à voir. On aurait dit qu'elle implora le symbole de la mort de ne pas la reprendre immédiatement, ressentant qu'on avait toujours besoin d'elle sur terre. Une allure déconcertante pour quiconque l'avait connu auparavant. L'ange se trouvait dans un état lamentable et de parfaite agonie. Mourir pour échapper à son sort.

"Non... ne pas échapper au sort. Ne pas abandonner... Affronter!" s'exclama-t-elle comme si ce mot suffit pour la remettre sur pied.

De peine et de misère, elle se retrouva debout sur ses deux jambes, aucunement vacillante à son grand étonnemment. Elle croisa le regard de l'homme posté devant ses yeux et le fixant intensément pendant un long avant de parler. Elle avait repris sa confiance, s'étant jurée d'aller se confesser pour qu'on lui pardonne ses péchés de cette promenade honorifique matinale régulière. Après tout, rien ne lui était arrivé avant qu'elle rencontre ce personnage glacial, dépourvu d'une idéologie sur la mort semblable à la prêtresse. D'elle, une aura de confiance émana de tout son être, dégageant ainsi une aisance devant l'inconnu à s'exprimer librement et respirant la liberté de pouvoir le faire. À maintes reprises, jadis, elle avait tenté, mais en vain.

"Que sais-je des morts? Pour la plupart, l'attente à la mort fut souffrante, ils n'attendaient que cela. Ils ont si souffert que la mort était la meilleure des portes à ouvrir. Pour d'autres, la mort est un repos éternel après avoir avoir accompli le but premier du pourquoi de sa venue sur terre. Et mon opinion là-dessus? Je crois fermement que chaque mérite de vivre, certains peut-être moins par leur comportement. Je mérite, vous méritez, nous méritons... ils ont mérité. Pour ce qui est d'Emma, je n'écarte pas le fait qu'elle n'a aucun regret, sans doute, c'était la meilleure chose à faire selon elle. Je n'ai pas à juger de ses agissements puisque je n'ai point été dans son esprit. Toutefois, je vous dis qu'elle nous a injustement quitté dans la mesure où elle fut une bonne dirigeante de l'île. Vous-mêmes devez le reconnaître pour la défendre autant. Qu'elle erre et nous observe pour ce que nous faisons du travail qu'elle a accompli lorsque son coeur battait toujours. Je lui serai reconnaissante pour tout ce qu'elle nous a donné. Les voilà les honneurs que je lui envoie." énonça Amanda alors que sa voix restait toujours aussi cristalline et suave. Après tout, l'ange avait été élevé dans la douceur et le respect d'autrui.

La prêtresse contempla le personnage froid et immobile comme un iceberg qui pourtant, ne tâcha pas de consumer la peur de la jeune femme aux cheveux dorés.

"Ce serait vous mentir que de vous dire que je ne mérite pas de vivre. J'ai quelque chose à accomplir ici et je ne quitterai pas ce monde tant et aussi longtemps que ce ne sera pas fait. Pareillement pour vous, cher Monsieur. Et de quel orgueil dis-je cela? Je vous réponderez simplement ceci: par le mien..."

L'aisance avec laquelle elle lui envoya sa dernière réplique aura tôt fait de le déboussoller. Bien qu'elle voulut se montrer grave, ses traits faciaux restèrent détendus, sans aucun signe apparent d'une quelconque frustration. Sa voix non plus n'avait pas suivi ce sentiment qui lui rugeait à l'intérieur. Était-ce mieux ainsi? Ne risquait-elle pas de cette façon de le déconcerter avec une voix aussi assurée et douce à la fois qui était le contraire de celle de l'homme qui était perçante, mesurée avec une pincée d'agressivité. Après tout, n'était pas comme le feu et l'eau? le chat et le chien?

Malgré lui avoir dit son opinion, Amanda avait su rester courtoise dans ses propos et dans sa projection sans avoir à chercher l'accent sur tel ou tel mot pour tenter de le provoquer. Néanmoins, la prêtresse n'avait pas appris à ne pas utiliser les convenances pour discuter avec quelqu'un. Certes, on ne pouvait soustraire l'insolence d'une personne quelconque, cette nature-là étant omniprésente sur terre même dans les endroits les plus pacifistes. Toutefois, l'ange n'avait joué cette carte, la retirant de son jeu le plus rapidement possible dès qu'elle s'y présentait.

Finalement, la jeune femme garda ses iris bien ciblés sur le personnage qui semblait vouer une certaine affection pour Emma, l'ancienne dirigeante de l'île d'Ynis Witrin. Elle nota qu'elle ne s'aventurerait plus sur ce chemin à l'avenir, ayant précédemment été témoin de sa colère tranchante.

Ses mots durent être un choc pour cet intruse car elle s’écroula sur le sol , prise d’une violente convulsion. Et la scène se déroula très vite. Lui, ne fit pas un geste, ses lèvres n’esquissèrent pas le moindre mouvement pour laisser s’échapper une parole réconfortante. Il regardait cette jeune femme, incarnation de l’héroïne pathétique, s’invectiver et demander pardon. Que de démesure, quel manque de sang froid. Lyan la toisait du haut de sa noble stature, son regard tranchant semblant l’accuser d’un manque de tenue extravagant. Insensible à la déchéance de la jeune femme il méprisait ce comportement qui cherchait à faire naître la pitié. Hors ce sentiment lui était totalement inconnu.

Quelle folie s’était donc emparée de cette être si faible ? Lyan connaissait le pouvoir des mots et en usait sans répit, mais cette réaction, il la jugeait totalement disproportionné. La fixant sans ciller, il annonça d’une voix gelée :

« Allons reprenez vous ! Nous sommes dans un cimetière ! Ne vous a-ton pas appris à vous contrôler ? »

Sans avoir hausser le ton, il savait planter des poignards par les mots. On lui avait si bien inculqué le sens des convenances qu’à présent, elles étaient inhérentes à son caractère. Faire une telle crise dans le lieu de repos des défunts, jamais il ne l’aurait permis à quiconque.
Etait-elle si peu sûre de ces convictions pour se laisser détruire par les paroles d’un inconnu dont elle ignorait jusqu’à la fonction ?

Las de cette scène, il tourna les talons et fit un pas en avant. Lyan s’apprêtait à laisser la chétive créature en proie à ses démons intérieurs sans une once de remord. Il ne se sentait pas responsable de son manque de sang froid et de lucidité. Elle s’était abandonnée à une folie destructrice, c’était donc à elle de s’en tirer. De plus, il n’apprécierait guère que sa première action pour l’île soit de calmer une inconnue qu’il avait invectivé.

Au moment même où il fit un pas, il sentit l’esprit survolté se calmer dans son dos, il entendit la jeune femme se hisser sur ses jambes vacillantes. Lyan s’arrêta, écoutant les pensées de la jeune femme sans lui permettre jamais de remarqué l’intrusion qu’il avait faite à son esprit. Sa crise de folie semblait être passé, ses esprits lui revenaient. Lentement, discrètement, il se retira à pas de loup des pensées qu’il avait pénétré et rouvrit les yeux. Il tournait toujours le dos à la jeune femme, les lèvres pincées. Une bourrasque de vent vint balayer ses cheveux bruns, rendant l’instant d’autant plus solennel.

Cette femme était tout son contraire et pour cela il la détestait tout autant qu’il admirait la force de ses convictions. Elle était chétive et pourtant puisait en elle une détermination et un courage qu’on aurait su lui attribuer. Et pourtant, lui, la méprisait. Il n’aimait ni sa faiblesse ni son orgueil déraisonné, il n’aimait sa façon de ressentir plutôt que de réfléchir. Elle était tout ce qu’il n’aimait pas. Elle était son antithèse parfaite, respirant la bonté et les bonnes intentions. Parfaite représentante de cette île puisqu’elle cachait ses lacunes et des défauts derrières des idéaux falsifiés.

Le dos tourné, ne lui offrant pas l’attention de son regard, il écouta attentivement les mots qu’elle avait à lui dire avec une force et une politesse fidèles à sa personnalité.

« Vous êtes une enfant naïve et égocentrique. »

C’était une pure insulte. La colère surgissait à nouveau, accompagnant le mépris. Cette femme n’avait donc rien compris. Elle ne savait rien du monde en dehors de l’île et se permettait de prétendre à l’universalité. Lyan demeurait en apparence calme mais son sang bouillonnait à l’intérieur de son corps, courant sous ses veines à une telle vitesse qu’il lui battait aux tempes. N’étant pas de ceux qui pardonnent les offenses, le prénom de sa défunte cousine avait attisé ses défauts. Irritable, tranchant, acerbe. La lame d’un couteau à l’intérieur de ses lèvres.

Enfin, il daigna se retourner vers elle. Rapide, il s’avança jusqu’à ce que leur silhouette ne soit plus séparées que par une poignée de centimètres. Plus grand qu’elle, il la toisait d’un regard placé en hauteur. Son regard était brûlant, les traits de son visages tendus contrairement à ceux de la jeune femme.

« Amanda. » murmura-t-il, car telle était le prénom qu’il avait été volé en souillant son esprit. « Quelle que soit la mission dont vous vous croyez investie par quelque puissance divine, elle ne saurait pallier votre ignorance et à votre orgueil. Que savez vous de ce qui est juste ? De ce qui ne l’est pas ? Trouvez vous juste de vous terrez sur cette île quand dehors des hommes et des femmes meurent assassinés à chaque seconde qui s’écoule ? Et pourtant vous restez ici. Qu’est ce que la justice sinon un simple point de vue ?

Vos théories sur la mort, sur la vie, sur le mérite de chaque être vivant sont de belles illusions dans lesquelles vous noyez vos faiblesse. Il faudra un jour vous réveillez… Croyez vous être utile à ce monde en vous contentant de prier pour les morts sans aider les vivants sous simple prétexte, en comparaison de vos chers défunts, ne mérite pas leur chance de vivre ? »

Il n’y avait rien à faire, il détestait la conception égoïste et la vision étriquée des habitants de l’île. Il ne s’y acclimaterait jamais. Si lui était un manipulateur d’exception et que ses mains étaient tâchées de sang et d’actions mesquines, il se sentait néanmoins plus franc que le peuple qu’il venait de rejoindre. Il détestait les illusions, elles protégeaient les faibles et les imbéciles. C’était sans aucun remord qu’il les brisait lorsqu’on avait l’audace de les lui présenter.

Lui qui était venu se recueillir sur la tombe de sa cousine s’était vu dérangé par une enfant inconsciente qui avait troublé sa paix et sa réflexion.

Sa respiration lente et régulière donnait d’autant plus de poids à son regard. Lyan ne cherchait pas réellement à intimider Amanda, pourtant il savait qu’il pouvait paraître oppressant. Plantant ses yeux sombres dans l’eaux claires de ceux de son interlocutrice il siffla alors :

« Priez donc pour vos morts que vous aimez tant. Vous ne tarderez pas à les rejoindre. »

Invité

Elle aurait très bien pu faire la sourde oreille et n'entendre que ce qu'elle désirait entendre. Il la poussait à bout et remettait en doute ses propres convictions. Après tout, il fallait bien que quelqu'un lui montre la véritable facette de l'être vivant. Elle ne pouvait pas vivre dans l'ignorance jusqu'à son dernier souffle. Et tant pis s'il fallait que ce soit un homme dépourvu de courtoisie et de sympathie. Néanmoins, cela montrait à la jeune femme qu'il n'y avait pas que des êtres pacifistes et polis en ce monde.

Intérieurement, elle le remercia. Aussi étonnant que cela puisse paraître. Elle ne lui en voulait pas. Après tout, il lui montrait une vision bien différente de la sienne, une conception de la vie divergent de celle qu'avait toujours connu et entendu la prêtresse alors que la nuit on entendait résonner cette idéologie à même les murs du Temple de Verre. Ainsi hanté par une voix qui répétait à ses enfants de ne jamais connaître autre chose.

Sur ce, Amanda baissa la tête, soumise à une nouvelle ouverture d'esprit. Elle inspira profondément, reprenant un courage insoupçonné, mais pourtant ayant toujours fait parti de sa personne. Et elle ruminait ses pensées, avalant de plein fouet, à s'en étouffer, ce qu'il venait de lui ingurgiter. Devait-elle renier ce qu'on lui avait inculqué d'un seul coup? Ou rester avec la même idéologie? Ou encore de combiner les deux afin de se refaire sa propre idée?

"Une enfant naïve et égocentrique vous dites." renchérit-elle alors qu'elle garda son regard bien rivé sur ses pieds et la végétation sous elle.

*Une enfant naïve et égocentrique...* songea-t-elle.

"C'est bien la chose avec laquelle je suis bien d'accord avec vous." avoua l'ange. "J'ai trop longtemps refusé de croire qu'on pouvait penser autre chose."

Soudain, elle releva son regard submergé d'angoisse et d'incompréhension lié à une confusion totale de ses propres opinions. Elle lui donna raison et, étrangement, cela lui fit du bien. Bien qu'elle pouvait ressentir une réticence de sa part, il n'en demeure pas moins qu'elle se montrait assez clémente envers lui. Ayant soif de connaissance, elle devait s'avouer être brûlante de connaître autre chose que ce que l'on racontait dans les ouvrages qu'elle avait épluché une bonne centaine de fois. Et comme elle l'entendit prononcé son nom, elle plissa les yeux.

*Il sait lire dans les pensées lui aussi?!*

Amanda l'écouta s'énoncer sur le sujet, s'abreuvant de ses paroles comme celles du Grand Prêtre. Elle le fixa sans toutefois devenir harcelante avec ses iris plantées dans les siennes.

"J'ai tant à apprendre sur ce monde, cher Lyan Key Aleyna, avança-t-elle en s'incrustant à son tour dans son esprit pour en retirer son prénom. Bien que je puisse vous paraître têtue, votre connaissance m'interpelle. D'autant plus que votre rôle sur cette île est plus que déterminante. On m'a trop longtemps couvert les yeux d'un bandeau noir pour être certain que je ne veuille pas me joindre à de tels rangs. Et me voilà qu'aujourd'hui, vierge de tout cela, vous m'agressez avec vos paroles qui me semblent tout à fait juste. J'ai voulu me forger une idée de ce monde, mais le voyagement m'étant interdit, je ne puis en faire autrement que de suivre ce que l'on me dictait. Est-ce un abandon de ma part? Un manque de volonté? d'objectivité? Il se peut. Je suis orpheline moi, monsieur, on m'a donné un logis, de quoi me nourrir que je n'ai pas cherché à perdre tout cela."

Elle prit le temps de s'arrêter pour tenter de trouver les mots justes. Elle ne cherchait pas à ce qu'il prenne pitié d'elle. C'était sans doute la pire chose à faire dans cette situation. Tout ce qu'elle réclamait, c'était qu'on l'écoute d'une oreille attentive et qu'on ne lui donne pas nécessairement raison si cela le valait. Elle balaya un regard absent sur le paysage, trouvant le tout illusoire, et pourtant, c'était bien la réalité qu'il l'attendait si elle quittait l'enceinte du Temple.

"À côté de vous, je me trouve bien inutile. Que fait une prêtresse dans la vie, si ce n'est que de prier? Rien, je vous répondrai. Rien. Parfois je regrette qu'on m'est épargné la vie. S'ils avaient su ce que je serais devenue, m'aurait-il tué? jugeant que je n'avais rien d'autres à accomplir que de soigner des blessés de guerre ou des victimes d'épidémies? Je suis une bien piètre être vivant... pitoyable." s'essoufla l'ange avant de regarder le bas de sa tunique comme si elle désirait disparaître.

Bien qu'il se soit montré dur, elle ne le détestait pas, contrairement à ce qu'il avait envers elle. Elle sentait parfaitement qu'il ne s'accordait pas bien à la mélodie de la jeune femme qui avait une partition différente à jouer. Et pourtant, elle chercha une autre harmonie à interpréter afin de mieux briller et faire du bien paraître partout où elle passe. Aux dires de tous ceux qui ont négligé la personne de ce personnage angélique qui n'avait cherché à souffler son souffle à travers la masse, elle avait plutôt réussi à se fondre à la foule en s'époumonnant.

Elle se trouva soudainement honteuse de porter un tel habit sacré qui la cataloguait déjà dans une catégorie à la première impression. Elle maudit cette accoutrement pendant un moment avant de relever un regard empli d'une envie de connaître autre chose. Elle ne le suppliait pas de lui inculquer autre chose, bien au contraire. Amanda l'aurait retiré volontié, mais la situation ne le permettait. Nue comme verre devant un inconnu? Elle avait au moins assez de dignité pour ne pas se soustraire à une telle humiliation.

"Vous demander pardon de vous avoir dérangé vous saoulerait plus qu'autre chose je suppose. Pour une fois, je vais refuser de me soumettre à des exigences illusoires et divinatoires. Je compte voir autre chose, penser autre chose que ce que j'ai appris. Vous m'avez, certes, ouvert les yeux, Lyan Key Aleyna." lui confessa l'ange en levant son regard vers lui qui la regardait de haut alors que sa posture pouvait l'anéantir que d'un seul coup d'oeil.

Elle inclina sa tête vers l'avant devant ce personnage haut gradé dans la hiéarchie sociale de l'île.

"J'espère bien me rendre utile, un de ces jours, sur cette île... Pensez-vous qu'il possible de prendre un chemin différent et de recommencer à zéro?" demanda la jeune femme alors qu'elle songea à quitter le Temple si cela s'avérait nécessairement pour être moins naïve et égocentrique et être ainsi plus informée du monde qui l'entoure; de celui qu'on lui a caché toutes ces années.

[Juste que normalement, même les gens expérimentés n’arrivent pas à pénétrer l’esprit de Lyan Wink

C’est le seul pouvoir qu’il a accepté, alors il est très entraîné la dessus n_n Et je m’excuse parce que c’est pas bien glorieux en comparaison.]

Il n’y pas de place dans ce monde pour les faibles, Lyan. N’oublie jamais ça
…

Les mots de son père avaient pris de l’ampleur dans son esprit jusqu’à devenir son leitmotiv. Les faibles perdaient toujours tous les combats, même ceux des mots. Voilà ce qu’il reprochait à Amanda, sa faiblesse, son manque de détermination, cette humanité. Elle admettait son manque d’ouverture d’esprit. Si Lyan en était surpris, il n’en laissa rien transparaître. Pas le moindre frémissement de lèvres ni le moindre mouvement de sourcils ne le trahirent. Rien. Au fond de lui, il ne pouvait la croire. Quelqu’un qui changeait si facilement d’avis et de propos ne pouvait pas être crédible. Il n’en fit cependant pas la remarque et l’écouta attentivement sans jamais l’interrompre. Ses yeux sombre la fixaient, la scrutait tel une toile qu’il tissait petit à petit par son regard pour mieux emprisonné sa proie.

Il ne l’aimait pas pourtant il ressentait de la pitié. Haïssant profondément ce sentiment, ce dernier prenait alors la couleur de mépris et de la haine. Faible. Elle était faible et avouait à haute voix sa faiblesse et ses lacunes. Pourtant ses fautes étaient déjà commises et Lyan n’était pas de ceux qui pardonnent ou offrent l’absolution.

La pitié s’évapora dès qu’elle fit référence à sa vie, à son passé. Recherchait-elle sa compassion ? Désirait-elle qu’il accepte cette justification ? Immobile, il la laissa finir, préférant garder son avis à plus tard, ne chant plus si lui dire ce qu’il pensait était la meilleure des solutions pour se débarrasser de cette intruse malvenue dans son deuil.

Un silence bref s’installa entre eux. Le dirigeant avait choisi, pour l’instant l’option de la non-réponse sentant qu’elle avait encore des choses à dire. Avoir toutes les cartes en main serait un avantage pour répondre plus judicieusement.

A sa question, il se contenta de détourner son regard sur l’horizon de tombes qui s’offrait à ses yeux. Beaucoup étaient anciennes, la pierre avait été polie par les éléments, les tempêtes, les orages, la pluie, le vent. Beaucoup étaient récentes. Personnages illustres, gardiens, simples habitants s’étaient de tout temps sacrifiés pour l’île et son éternité. Immuable îlot de liberté et de paix.

« Vous n’avez pas l’étoffe d’un héros mademoiselle, pas l’âme non plus d’un chef. Vous ressembler… » Il inspira profondément. « Vous ressemblez à bon nombre des cadavres qui pourrissent sous cette terre. Ils ont voulu essayer tout en gardant leurs illusions et leurs mensonges. Ils ont pensé se sacrifier pour l’île quand, de nombreuses fois, ils ont juste agis pour leurs ego respectifs, pour se prouver quelque chose. Le vrai sacrifice, c’est celui qu’on fait en ayant conscience qu’on ne gagnera rien en retour. Pas d’estime. Pas d’éloge. »

Lui qui vivait avec ceux d’en haut savait que parmi les mondains, aucun n’étaient des héros… Il poursuivit.

« Vous avez raison de ne pas vous excuser car vous ne regrettez sans doute pas cette conversation. De plus je ne crois pas aux excuses, elle n’existe que pour soulager la conscience de celui qui a commis une faute. Si vous voulez changer, comme vous le prétendez, faîtes le donc, mais vous ne devez le faire pour personne d’autre que pour vous-même, et pas pour plaire à quiconque. Si vous voulez devenir quelqu’un, il va falloir apprendre à être forte. »

Une ombre fugace traversa son regard. Devoir donner des conseils et répondre aux demandes de quelqu’un qui se présentait comme une enfant naïve et égocentrique était un acte qu’il n’appréciait pas. Pourtant quelque part, il s’en sentait le devoir. Il avait la responsabilité de cette femme en tant qu’habitante de l’île. Si elle devenait forte, peut-être pourrait-elle les aider à changer un destin tragique.

Il riva ses yeux noirs sur la tombe d’Emma, et répéta machinalement, d’une voix teinté d’aucune émotion comme toujours.

« Il n’y a pas de place dans ce monde pour les faibles Amanda. » Il reporta son attention sur elle. « Il s’agit à présent de décider de quel côté de la ligne vous voulez être et de vous tenir à cette décision. Alors que comptez vous faire ? »

» Sur la tombe d'Emma...[libre]